Journal étudiant de la PHYSUM

Entrevues

L'entrevue

par Cédric Médiavilla-Rivard, Étienne Poliquin

Durant le tournage du court-métrage à succès Mini McSween est rendu grand, plusieurs professeurs de l’Université de Montréal subirent une entrevue. Pour les besoins du cinéma, de nombreux segments pourtant très intéressants desdites entrevues ont dû être coupées et condamnées à gésir dans les froids et hostiles tréfonds d’un disque dur. Lors de l’entrevue, cette question épistémologique en apparence simple fut posée :

Que pensez-vous de la vulgarisation scientifique?

Bien qu’absentes du montage final, les réponses étaient variées et révélatrices. C’est donc pour leur donner une chance de briller que cet article se trouve devant vous. Voici ces extraits d’entrevues jusqu’ici inédits :

Richard MacKenzie

Dans le domaine de la physique des particules, il y a bien des tentatives de vulgarisation qui sont, pour les étudiants du bac, la seule chose qu’ils savaient sur le sujet avant d’arriver ici. Est-ce que ce que vous connaissez de ces tentatives de vulgarisation rend vraiment justice au domaine de la physique des particules?

Je dirais que non. J'ai peut-être une opinion minoritaire, mais à mon avis, c'est relativement inutile de faire une discussion descriptive de quelque chose où on ne peut pas vraiment comprendre les mathématiques. Je ne suis pas un fan de Québec Science, Scientific American, ce genre de vulgarisation, puisque je trouve, personnellement, que ça manque tellement de détails que c'est [inutile]. C'est le mieux qu'on peut faire, peut-être, avec quelqu'un qui ne connait pas du tout les mathématiques, mais je pense qu'on perd beaucoup sur la compréhension de la chose. Ce n’est pas quelque chose que je pourrais imaginer faire moi-même, une vulgarisation de, mettons, la théorie des cordes pour les nuls. Ce n'est pas mon style.

Justement, ça, la théorie des cordes, c'est quelque chose dont on entendait beaucoup parler dans tous les trucs de vulgarisation scientifique avant d'arriver ici. Puis là, on arrive l'université, et on dirait qu'il y a presque aucun professeur qui s'y intéresse. Est-ce que c'est du passé, comme théorie?

C'est un sujet qui a été très populaire, c'est toujours assez populaire, je suppose. Je dirais que la promesse de la théorie des cordes a un peu été perdue au fil des années. Dans le temps de mon PhD, par exemple, la théorie des cordes a été décrite comme la théorie de tout. Et maintenant, on questionne, est-ce que c'est la théorie de quelque chose? Je pense que les avancées sont très lentes. On a beaucoup de gens super, super brillants qui ont mis leur carrière totale sur la théorie des cordes. Est-ce qu'il y a toujours une promesse dans cette direction-là? Je ne sais pas. Il y a une théorie ultime. C'est peut-être la théorie des cordes. Ce n’est peut-être pas la théorie des cordes. Il faut explorer toutes les avenues. Il faut être très bon en mathématiques et très patient si on veut aller dans la théorie des cordes, à mon avis.

Et même là, on prend un risque de mettre des années là-dedans et qu’au final, ce soit une théorie qui n’a servi à rien.

C'est toujours un risque quand on développe une théorie. Et en absence d'interaction, disons, quotidienne ou court terme entre expérience et théorie, c'est toujours facile de développer la théorie. Trouver des aspects super jolis de la théorie, esthétiques, etc. Et est-ce que ça décrit la nature? On ne sait pas. Ça peut être comme une sorte de cadre théorique très beau, très joli, mais loin de la vraie vie. Donc, c'est un risque.

Surtout qu'il y a eu quasiment 50 ans entre le début du cadre théorique et le début des vraies expériences qui auraient été capables de le découvrir dans ce cas-ci, non?

Découvrir?

Les résultats du LHC des dernières années semblent indiquer que la théorie des cordes n’est peut-être pas le bon modèle, ou du moins, n'emmène pas les résultats qu'on voulait pour confirmer la théorie des cordes, si ma compréhension est bonne. Mais ça, c'est des expériences qui se sont faites dans les dernières années pour quelque chose qui est développé depuis plus de 50 ans.

Oui. Mais je suppose que tu parles de la supersymétrie, qui est un élément central de la théorie des supercordes. Supercordes pour supersymétrie. Mais, la supersymétrie, c'est une symétrie en théorie des champs, qui est un élément de la théorie des cordes. On peut avoir la supersymétrie sans théorie des cordes mais on ne peut pas avoir la théorie des cordes sans supersymétrie, à ce que je sache.

Ce qu'on aimerait découvrir au LHC - on veut découvrir [plusieurs] choses - mais l'une des choses les plus étudiées, c'est la supersymétrie. Et donc, il y a quelques années, on avait beaucoup d'espoir que le LHC, ayant augmenté l'échelle d'énergie, puisse découvrir des partenaires supersymétriques des particules quotidiennes. L'électron, sa partenaire, se nomme le sélectron. C'est une particule de spin zéro. On aurait aimé découvrir ça, mais on n'a rien découvert. Ça ne veut pas dire que la supersymétrie est exclue. C'est toujours possible de modifier la théorie de façon à d'éviter que la théorie soit éliminée. C'est-à-dire qu'on a une théorie de supersymétrie minimale qui donne des prédictions relativement précises qui n'ont pas été observées, ce qui suggère que la théorie minimale n'est pas la bonne. Et on peut, disons, complexifier un peu le modèle ou en changer certains aspects pour éviter que les expériences l’éliminent. Donc, on adapte le modèle aux observations. C'est un peu contre l'esprit de la physique, puisque ça donne un « moving target ».

Les gens de supersymétrie disent, et ont déjà dit, ça sera définitivement être découvert au LHC. Le LHC roule pendant des années mais on ne voit pas ce qu'ils sont censés voir. Et puis les mêmes gens disent, oh, mais on peut ajouter ceci ou cela au modèle et ça explique pourquoi on n'en a pas vu, mais vous allez voir ça au prochain accélérateur! Donc, c'est un peu un acte de foi, parfois, de croire en son modèle. Quand il n'y a pas de prédiction absolument claire et nette qui peuvent être observées ou non. Dans un monde idéal, la prédiction est tellement inscrutable que si ce n'est pas observé, le modèle est rejeté. Et souvent, les modèles peuvent être adaptés à toutes observations expérimentales qui sont insatisfaisantes.


Jean-François Arguin

Beaucoup d’étudiants ont écouté bien des documentaires sur YouTube ou à Découverte, par exemple. En embarquant dans un bac en physique, on pense à la théorie des cordes et des toutes les choses complexes qu'on a vu passer dans nos documentaires semi-fiables. Pourtant, à l'université, on n'entend plus parler de ces choses-là. Est-ce que la vulgarisation scientifique est un petit peu déconnectée ?

Oui, plug en passant : on a passé un documentaire, le groupe Atlas, le 28 janvier, sur Découverte. Si vous voulez écouter, c'est disponible en ligne. Vulgarisation, tu veux dire le côté plus flyé de la physique des particules.

Oui.

Dans mon cours de physique subatomique, PHY-2601, deuxième plug, on en parle. J'essaye d'en parler quand même quand le sujet est disponible et quand c'est pertinent ça vient naturellement. Parce que moi, quand j’ai fait mon bac dans les années 90, c’était beaucoup pour le côté flyé, justement, de la physique, et de la physique des particules en particulier. C'est encore ça qui me fascine et qui me fait tripper de nos jours, donc j'essaie d'en parler. Aussi, dans le cours de Relativité 1, PHY-1652, il y a amplement de moments pour parler de ça.

Donc il y a quand même un peu de discussions davantage métaphysiques.

Oui, mais pas autant qu’il pourrait y en avoir. On se penche rarement sur le côté philosophique de la physique alors que ça pourrait être très intéressant. C’est peut-être parce que, veux, veux pas, on a un manque de temps, les profs, pour passer, par exemple, un an à étudier la mécanique quantique afin d’ensuite pouvoir l'enseigner. On n'a juste pas le temps de faire ça, donc on utilise des manuels, pour nous aider et pour nous guider. Dans les manuels, je remarque qu'il y a peu de discussion philosophique sur qu'est-ce que veut dire véritablement [la physique]. Évidemment, quand on parle de métaphysique ou de choses comme ça, on n'aura jamais la vraie réponse. C'est de la spéculation, mais de la spéculation intéressante.

Donc, semble-t-il que les livres en parlent pas, ou peu, mais je pense qu'il y aurait une ouverture pour ça. Je suis pas spécialiste, peut-être qu'il y en a qui en parlent plus, mais ça serait intéressant d'inclure ça un petit peu. Je sais pas, peut-être y a-t-il des cours à option en philosophie des sciences qui approchent ça un peu.

Y a-t-il des physiciens qui dédient un peu plus de leur temps à penser à la métaphysique?

Oui. Il y avait, à l'époque, un étudiant avec moi qui était un petit peu plus vieux, Alexandre Guay. Il est carrément devenu philosophe. Il est devenu professeur de philosophie je pense en Belgique. Puis il a vraiment fait le bac, et au moins la maîtrise [en physique]. Je pense que son doctorat est en philo. Puis j'ai aussi un ami qui est professeur à Boston sur l'expérience ATLAS comme moi, mais qui traite vraiment sur la philo. Il a même écrit un article en philo relié à la physique des particules. Donc oui, ça existe, certaines personnes qui font ça.

Sinon, en lien avec ce que vous faites : Est-ce que quand on va avoir un accélérateur de particules plus long, ça va donner des résultats ?

On a eu quand même des résultats importants avec le boson de Higgs. On a vraiment une particule complètement différente qui n'est pas ni un boson de spin 1, ni une particule de matière. Ça, c'est une découverte majeure qui a valu un prix Nobel l’année après, puis qu'on continue d'étudier.

Mais après 2012 ?

Donc là, nous, qu'est-ce qu'on fait? Reportage, [troisième] plug de Découverte du 28 janvier, c'est le sujet. C'est sur la détection d'anomalies. Parce que là, mon évaluation du champ de la physique des particules, c'est qu’on n’a pas toujours découvert [...] de nouvelle physique, clairement. Mais on sait qu'elle est là : on sait qu'il y a de la matière sombre, on sait qu'il y a de la symétrie entre la matière et l'antimatière. La théorie du modèle standard n’étant pas satisfaisante, il faut qu'il y ait à un moment donné de la nouvelle physique.

Là, avec le Atlas, on recrée les conditions de l'univers 10-10 secondes après le Big Bang. Il y a clairement eu des nouvelles particules, peut-être là, mais à tout le moins avant ça, pour expliquer l'univers connu. Parce qu’on dit que le modèle standard, c'est le code source de l'univers. Pourtant, [si on le simulait], ça ne donnerait pas l'univers observable. Mais là, ce qu’on a fait, au LHC, [...] c'est qu'on a cherché, en se fiant aux théoriciens, les particules qui nous ont dit de chercher, parce que ces particules-là réglaient les problèmes du modèle standard. On ne les a pas trouvées.

Il y a deux possibilités, soit que la nouvelle physique est à plus haute énergie, et qu'on va avoir besoin d'un plus grand collisionneur, ce qui s'en vient peut-être, ou on n'a pas cherché à la bonne place. Et nous, ce qu'on fait dans le reportage et ce que beaucoup de groupe ici à l'UdeM font, c'est la détection d'anomalies. C’est chercher systématiquement partout dans les données, [ce qui n’a pas vraiment été fait auparavant]. Donc vraiment chercher partout en utilisant l'intelligence artificielle. [Bref], il y a deux possibilités. C'est soit [la nouvelle physique] est cachée dans les données actuelles, ou soit on va avoir un nouvel accélérateur dans le futur.

Dans le fond, pour régler le modèle standard, ce que vous me dites, c'est qu'il faut rajouter d'autres particules.

Ça peut être d'autres interactions, mais les interactions, de toute façon, c'est des particules.

OK. Là, ça paraît que je suis en première année.

Oui, comme l'électromagnétisme, puis l'interaction faible, l'interaction forte, puis la gravité. On n'est pas sûr de la gravité. Il y aurait les gravitons, mais c'est très hypothétique, un peu philosophique. Mais les autres interactions sont tous médiées par ce qui est des particules aussi, quand on regarde vraiment fondamentalement.


Patrick Dufour

En astrophysique, il y a beaucoup de vulgarisation sur les médias sociaux. [...] Pensez-vous que cette vulgarisation est parfois trop sensationnaliste et pas assez réaliste?

C’est sûr qu’il y a beaucoup de ce qu’on appelle du « clickbait », donc il faut faire attention à ça. Ça peut être intéressant si ça permet au gens de s’intéresser au sujet. On est toujours pour ça, ce n’est pas un problème. Mais oui, il y a beaucoup de clickbaits. Et les gens commencent à avoir des doutes sur ce qui se dit parce qu’il y a des choses farfelues qui sont dites. Il faut trouver le juste équilibre. Comme dans n’importe quoi [...], si on va trop d’un bord on finit par se retrouver de l’autre. Les choses vont finir par se rééquilibrer un jour.

Oui, justement, moi, dans ma jeunesse, je regardais des vidéos sur les trous noirs, et c’est pour cela que je voulais aller en physique. Maintenant, je suis au bac et on ne parle pas de trous noirs. Je n’y pense même plus!

Oui, un des grands dangers de ces trucs là – bon, pas un danger, mais ça donne peut-être la fausse impression que c’est juste des trucs fun, ce qui est vrai, je ne veux pas dire que ce n’est pas vrai. Mais les gens ne sont peut-être mal préparés au fait que, quand tu arrives au baccalauréat, tu vas avoir beaucoup de mathématiques. Si tu pense que ce n’est que faire des belles images, tu te rends compte que oups, ce n’était peut-être pas comment je pensais. Mais si tu es préparé mentalement à savoir qu’il va y avoir beaucoup de mathématiques, et que tu aimes [cela], je pense que le parcours en physique devient comme un jeu à chaque jour.

Avant de passer aux trous noirs, il faut passer par les oscillateurs harmoniques!


Exactement! Les oscillateurs harmoniques sont partout!