Journal étudiant de la PHYSUM

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Portrait d'une scientifique inspirante: Professeure Alvine Kamaha

par Marianne François

Entrevue du 23 octobre 2024.

Le 23 octobre 2023, la professeure Kamaha reçoit le prix Edward A. Bouchet de l’APS (American Physical Society) pour son leadership et ses réalisations clés dans la recherche expérimentale de la matière noire.

Mais, avant d'en arriver là, remontons un peu dans le temps.

Alvine Kamaha obtient son baccalauréat au Cameroun, où elle a grandi, à l’Université de Douala et se lance dans une maîtrise en physique atomique théorique. Elle obtient par la suite une bourse pour poursuivre une maîtrise en physique des hautes énergies au Centre international Abdus-Salam de physique théorique, en Italie où elle se spécialise en physique des neutrinos. Après cette maitrise, elle décide de s’orienter vers l’expérimental. Elle part pour l’Université de Queens au Canada pour travailler à SNOLAB sur l’expérience PICASSO, une expérience que vous êtes nombreux et nombreuses à connaître portant sur la recherche de matière noire à l’aide d’une chambre à bulles. De cette expérience a découlé le projet PICO qui se tient toujours au pavillon René-J.A.-Lévesque (plus communément connu comme le bunker). Alvine Kamaha convertit sa maîtrise en doctorat à l’Université de Queens, où elle poursuit également un premier post-doctorat. Elle part ensuite aux États-Unis, à l’Université d’État de New York à Albany, pour un second post-doctorat pour travailler sur une chambre à dérive à la recherche de la matière noire. Aujourd’hui, elle est professeure assistante à l’Université de Californie, Los Angeles, où elle travaille sur une chambre à dérive cylindrique, toujours dans le but de découvrir la matière noire.

Pourquoi la physique?

Alors qu’Alvine Kahama est au collège (équivalent du secondaire au Québec), la conseillère en orientation lui recommande de faire un baccalauréat (i.e. un DEC) en littérature et n’approuve pas sa décision d’aller en science. Au Cameroun, comme dans beaucoup de pays, le milieu académique et les sciences sont très majoritairement dominés par les hommes. Motivée et soutenue par ses parents, Alvine Kahama décide de poursuivre un baccalauréat scientifique et se rebelle contre une culture qui cherche à confiner les femmes dans certains domaines plutôt que dans d’autres. À l’université, souhaitant initialement devenir pilote, elle se dirige vers la physique sous les conseils du conseiller académique, afin d’acquérir une compréhension globale en science. Le véritable coup de foudre pour la physique survient en Italie, lorsqu'on lui enseigne que certaines particules considérées sans masse dans les cours de base peuvent être étudiées expérimentalement et peuvent posséder une masse (comme les neutrinos par exemple). L'idée de pouvoir façonner la connaissance et découvrir de nouveaux concepts fondamentaux quant au monde qui nous entoure lui donne une passion pour la physique expérimentale et notamment la physique au-delà du modèle standard.

Aujourd’hui, la professeure Kamaha travaille sur l’expérience de recherche de matière sombre LUX-ZEPLIN (nos amateurs de musique apprécieront le choix du nom). Elle a participé au montage du détecteur utilisé dans l’expérience afin de réduire la contamination de la surface du détecteur (étape primordiale à ne pas négliger car une contamination pourrait engendrer un faux positif). Elle a également travaillé sur la calibration du détecteur. Elle a d’ailleurs remporté le “DOE (U.S. Department of Energy) Early Career Award” et le fameux prix Edward A. Bouchet pour ses contributions sur ce projet et l’avancée de la recherche sur la matière noire.

Pour nos passionné.es de la physique, qu’est-ce que l’expérience LUX-ZEPLIN ?

L'expérience LZ (pour LUX-ZEPLIN), commencée en 2022, est une des principales expériences en physique des particules portant sur la recherche de matière noire. Elle est située au Sanford Underground Research Facility (SURF) dans le Dakota du Sud, à environ 1,5 km sous terre. L'objectif principal de LZ est de détecter des particules de matière noire, en particulier les WIMPs (“Weakly Interacting Massive Particles”), qui sont l'un des candidats théoriques pour expliquer la matière noire. LZ utilise sept tonnes de xénon liquide comme détecteur principal. Si une particule de matière noire interagit avec un noyau de xénon, cette interaction provoque un scintillement dans le xénon liquide. Le détecteur LZ est conçu pour repérer cette lumière ainsi que le scintillement secondaire causé par l’électroluminescence des électrons provenant de l’ionisation des atomes de xénon. En analysant les caractéristiques de ces signaux, les chercheur.e.s peuvent déterminer si un événement pourrait correspondre à une particule de matière noire.

Revenons à notre entrevue.
Quels sont les impacts de la recherche de la professeure Kamaha en physique ?

Les découvertes en physique ont un impact significatif sur son propre domaine certes, mais également au-delà des bureaux universitaires.

La matière noire, qui n’émet aucun rayonnement, constitue 85% de la matière de l’univers, tandis que la matière ordinaire que nous connaissons n’en représente que 15%. Les implications de la découverte de la matière sombre font l’objet de beaucoup de spéculations. Une telle découverte entraînerait un nouveau rapport de l’Homme face à la matière et pourrait ouvrir la voie à de nouvelles avancées technologiques. Dans une approche moins utilitariste de la science, la découverte de la matière sombre serait avant tout un bel accomplissement humain. Dr. Kamaha soutient l’idée de faire de la science fondamentale pour l’unique plaisir qu’elle procure : relever des défis, repousser les frontières de nos connaissances, échanger des idées, s’épanouir dans notre quête de savoir. C’est d’ailleurs un conseil qu’elle donne aux jeunes et futur.e.s chercheur.e.s : trouver sa passion. Ce sont des mots simples qui peuvent malheureusement s’égarer au fur et à mesure que l’on avance dans les études.

Quand j’ai demandé à Dr. Kamaha quels conseils elle offrirait à des étudiant.e.s de groupes minoritaires, elle m’a répondu : “Once you find your passion, any difficulty becomes a challenge” (une fois que vous avez trouvé votre passion, toute difficulté devient un défi). Elle ajoute que, si l’on est prêt à faire les sacrifices nécessaires, on peut atteindre tous les objectifs que l’on se fixe, malgré les contraintes supplémentaires que la discrimination peut imposer. Selon elle, un système de soutien adéquat tout au long de notre aventure scientifique est essentiel : qu’il s’agisse d’un.e mentor.e ou de l’encouragement entre pairs... La passion, la persévérance et le soutien, voilà les éléments clefs que j’ai retenus de ma belle rencontre avec Dr. Kamaha.

Enfin, lors de mon entrevue avec Dr. Kamaha en pleine période d'intras, j'ai pu prendre un moment pour me recentrer. Notre passion pour la physique est une relation à entretenir, et il est essentiel de la maintenir saine. Enfin, la professeure Kahama et moi nous sommes quittées sur une belle anecdote.

Lors d’un événement qui l’amena à rencontrer plusieurs chercheurs et chercheuses à travers le monde, on lui raconta qu’une physicienne, le matin même de son mariage, était dans son laboratoire afin de compléter une prise de données. La science est réellement une histoire d’amour.

Lectures supplémentaires

Sanford Underground Research Facility. (n.d.). Our Story. Consulté le 17 novembre 2024, à l’adresse

LUX-ZEPLIN Collaboration. (n.d.). LUX-ZEPLIN Experiment. Consulté le 17 novembre 2024, à l’adresse

Sanford Underground Research Facility. (n.d.). LUX-ZEPLIN Experiment. Consulté le 17 novembre 2024, à l’adresse

Encyclopædia Universalis. (n.d.). Neutrinos - Que sont les neutrinos ? Consulté le 17 novembre 2024, à l’adresse

Futura Sciences. (n.d.). Qu’est-ce que la matière noire ? Consulté le 17 novembre 2024, à l’adresse

University of California, Los Angeles (UCLA). (n.d.). Kamaha, Alvina. Consulté le 17 novembre 2024, à l’adresse